Il existe quelques règles vitales dans l’écosystème des start-up. Vous devez les respecter à moins de jouer à la roulette russe. L’une d’entre elles est de ne jamais construire son modèle économique sur un terrain qui ne vous appartient pas. Je vous propose pour illustrer ce propos de débuter par cet extrait de mon analyse post mortem du 4 août 2019
Bnbsitter se voulait être elle-même une plate-forme à la Uber, mettant en relation des loueurs de biens immobiliers avec des concierges amateurs indépendants au casier judiciaire vierge.
Bref, une nouvelle plate-forme bâtie sur une première plate-forme, Airbnb.
Intuitivement, l’exprimer comme cela, on pouvait imaginer la solidité plus qu’incertaine de la structure…
Si il y a un célèbre entrepreneur multirécidiviste qui en a fait les frais à la première personne, c’est Loïc Le Meur avec feu sa start-up Seesmic. Il a raconté son expérience notamment dans cet extrait d’un article lu dans le Petitweb du 17 septembre 2018, intitulé Devenir Loïc Le Meur, en 5 bullet points
“Je me suis basé uniquement sur la techno de Twitter. Et un jour ils ont arrêté l’API. J’avais 22 développeurs qui ne faisaient que ça. J’ai dû appeler mes investisseurs et on a pivoté en quelques heures.” Ce qui reste de Seesmic a été absorbé par Hootsuite. Sa conclusion : “Ne jamais construire dans le jardin des autres et si vous le faites, avoir le pied dans plusieurs jardins”. (Les mots en gras sont de mon fait)
Voilà qui je l’espère, devrait servir de vaccin de rappel à un bon nombre de primo-entrepreneurs et de les faire réfléchir à deux fois, avant de vouloir jouer au piquebœuf, qu’il soit à bec jaune ou à bec rouge…
Il est pourtant parfois difficile de résister à l’envie de se raccrocher à une API afin de bénéficier du succès de son auteur. Vous pourriez penser à tort après son intégration, qu’il n’y aurait plus besoin de faire des efforts pour créer et entretenir votre propre communauté sur les réseaux sociaux…
Do you speak Jean de la Rochebrochard?
Snap Inc a été créée en 2011 par deux jeunes diplômés de l’université de Stanford, Evan Spiegel et Bobby Murphy. La majorité de ses utilisateurs ont entre 18 et 34 ans. En mars 2017, la start-up californienne a été introduite en bourse au prix initial de 17 dollars l’action. Les deux fondateurs bien que minoritaires contrôlent 99% de ses droits de vote.
Je reprends de manière synthétique, l’excellente analyse de Jean de la Rochebrochard exprimée lors de sa présentation intitulée Aller au coeur de la valeur produit
La narrative de Snapchat est d’envoyer des photos privées et éphémères à des proches, la caméra sur votre smartphone étant sa primitive. Ses enablers sont toutes les features à l’intérieur de la narrative pour améliorer et renforcer la primitive. Le chat est un enabler incroyable qui respecte la privacy parce que ça s’efface par défaut.
Au dernier trimestre 2019, Snapchat avait en moyenne 218 millions de Daily Active Users.
Popshow Inc cofondée par les français Grégoire Henrion et Clément Raffenoux, a lancé le 2 mai 2019, l’application mobile YOLO, doudou numérique interactif pour les jeunes, officiellement âgés dorénavant de plus de 17 ans.
Développée à partir de l’API de Snapchat désignée sous le nom de Snap Kit, ce serait donc une de ses enablers en quelque sorte si I speak well Human Machine. YOLO rajoute à Snapchat, une fonctionnalité Questions & Réponses, en préservant l’anonymat de celles et ceux qui échangent ainsi.
Bref, YOLO procure de la fréquence d’utilisation supplémentaire à Snapchat en lui fournissant davantage de DAU.
D’après Crunchbase, la start-up a levé 10 millions de dollars dont une série A de 8 millions le 28 février 2020. Pari que je trouve à titre personnel, très osé de la part de ses investisseurs…
IMHO, Snap Inc have Popshow Inc by the balls!
J’ai bien peur que la valorisation définitive d’une éventuelle exit serait dictée par cet acheteur providentiel. Le multiple retenu risquerait de ne pas satisfaire les espérances élevées de retour sur investissement de ses actionnaires (Kima Ventures, Cassius Family, Thrive Capital,…), subjuguées peut-être par la cohorte des millions d’utilisateurs de YOLO.
Pour fonder ma crainte, je me réfère à ce passage des conditions d’utilisation du Kit Snapchat pour les développeurs. Il délimite les droits de l’intégration de ses identifiants, avatars sous la forme de Bitmojis, stickers et stories,
If the Snap API Services allows you to submit or create functionality that enables others to submit text, graphics (including logos and marks), photos, video, audio, music, or other content (“Your Content”) to the Snap applications, you hereby grant Snap a perpetual, irrevocable, worldwide, sublicensable, royalty-free, and non-exclusive license to use, host, store, archive, copy, modify, cache, encode, reproduce, distribute, transmit, synchronize, display, create derivative works from, and publicly perform such content.
puis un peu plus loin, cet autre morceau choisi détaille le mode opératoire d’un véritable droit de mise à mort exerçable uniquement en pratique par Snap Inc sur Popshow Inc
Either party may terminate these Terms upon notice to the other party. Upon termination of these Terms (whether by you or Snap), you will immediately stop accessing and using all Snap API Services and delete and destroy all Snap API Services and Snap confidential information (including Snap Data and Snap Content) in your possession and control (including from your servers). Upon Snap’s request, you will certify your deletion and destruction. The following Sections will survive any expiration or termination of the Terms: Sections 4, 7-16, and any other provision of the Terms that contemplates a continuing obligation.
Born to be Snaped
De manière Loud and clear, Snap Inc peut ainsi décider à tout instant, soit de racheter Popshow Inc, soit de développer en interne des fonctionnalités comparables avant d’expulser son locataire comme un malotru sans dédommagements.
Si le modèle économique de YOLO semble illustrer in fine la volonté d’être rachetée à l’identique de Zenly, Snap Inc est ici en situation d’en fixer le prix d’acquisition unilatéralement car elle serait de facto le seul acquéreur en lice.
Cependant, dépendante quasiment pour la totalité de son chiffre d’affaires de la publicité, ses moyens d’acquisition vont de plus en plus être contraints par les conséquences économiques de la crise du coronavirus. D’autant plus qu’elle n’a jamais gagné de l’argent d’après son rapport annuel 2019 à ses investisseurs
We began commercial operations in 2011 and for all of our history we have experienced net losses and negative cash flows from operations. As of December31, 2019, we had an accumulated deficit of $6.9 billion and for the year ended December31, 2019, we experienced a net loss of $1.0 billion. (page 16/142)
En 2019, Snap Inc a essuyé un milliard de dollars de pertes pour un chiffre d’affaires de 1,7 milliard ! Avec le ralentissement économique qui impactera durement ses revenus publicitaires, son trésor de guerre au 31 décembre 2019 de 2,1 milliards de dollars s’évaporera plus rapidement qu’anticipé…
Devant cette situation financière dégradée, elle pourrait être de plus en plus tentée de produire un copycat maison. D’autant plus que son acquisition de la start-up française Zenly ne lui a pas forcément porté 100% chance à ce jour, toujours d’après son rapport annuel 2019
Likewise, in January 2020, You Map, Inc. filed a lawsuit in the U.S. District Court for the District of Delaware against us, our subsidiary Zenly, and certain of our respective employees alleging that we misappropriated various trade secrets regarding map technology used in Snapchat’s and Zenly’s map products. While we believe we have meritorious defenses to these claims, an
unfavorable outcome in these lawsuits could seriously harm our business. If these or other matters continue in the future or we need to enter into licensing arrangements, which may not be available to us or on terms favorable to us, it may increase our costs and decrease the value of our products, and our business could be seriously harmed. (page 25/142)
Worst case scenario, il ne faudrait pas que Snap Inc perde ce procès et puisse demander ensuite à Xavier Niel de lui rembourser les 213,3 millions de la transaction (source : Annual Report Snap Inc 2018 page 83). Même au prorata de sa participation directe et indirecte via Kima Ventures dans Zenly, ça ferait sans doute mal, très mal… y compris en terme d’image !