Tout avait commencé avec un tweet du 29 octobre 2019 de Fabien Raynaud, auteur du livre Startup : J’y vais, J’y vais pas: Le guide du parfait Business Angel
Retour d’expérience instructif sur une #startup #FoodTech qui n’est pas parvenue à trouver son #ProductMarketFit malgré des itérations. http://bit.ly/2ZDbnpa #GrowthHacking
Son lien renvoyait vers un post publié sur Medium le 5 septembre 2019 intitulé
Take a Meal : retour sur 22 mois d’aventure et sur la fermeture du service
Le texte avait également été repris sous une forme plus illustrée sur Maddyness.
Take a Meal proposait à ses clients via leur plate-forme web, de venir retirer un plat du jour prépayé dans un restaurant partenaire proche de leur lieu de travail. Le ou la special guest bénéficiait d’une réduction conséquente, moyennant un abonnement mensuel dont les termes avaient évolué au fil du temps.
De manière générale, je n’aime pas trop ces brèves autobiographies post-mortem qui permettent aux cofondateurs de réécrire l’histoire de leur start-up, subrepticement en leur faveur. Ce sont généralement de faux mea culpa où les futures générations d’entrepreneurs n’apprendront pas grand chose directement exploitable, en dépit des apparences d’une première lecture.
Ici mon malaise venait que cela ressemblait plus à un mini rapport de stage qu’au bilan d’une réelle première expérience entrepreneuriale finalement douloureuse.
Où étaient le sang et les larmes ?
L’objectif principal, n’était pas visiblement de créer une startup viable mais de jouer à la start-up. Vous me suivez ? J’ai été surpris par exemple, qu’aucune application smartphone Iphone ou Android n’avait été développée à l’image de celle de Just Eat…
je dois pourtant dire que le testament/témoignage de Clément Sciberras, n’essayait pas de peindre les éléphants en rose et que ses phrases avaient tous les attributs de la vérité et de la sincérité.
J’ai donc envoyé les robots-araignée Kchehck sur la toile afin de collecter le plus d’information possible. Tâche compliquée, le site www.takeameal.fr avait été carrément effacé, ne laissant aucune trace officielle de la scène de la disparition aussi subite que prématurée de la jeune pousse.
Dommage !
Pour en avoir néanmoins une saveur, j’ai du me contenter des deux captures d’écran toujours disponibles à partir de la machine à remonter le temps ou Wayback Machine. La première date du 8 août et la deuxième du 31 août 2018.
Sur le plan juridique, societe.com nous informe que la durée de vie de la start-up a été juste un peu plus courte que les 22 mois annoncés dans le titre…
Take a Meal ou TKM Group a été une SAS au capital de 2 000 euros immatriculée le 24 janvier 2018 au Registre du Commerce et des Sociétés. Elle a été dissoute le 31 juillet 2019, au bout de seulement 18 mois et une semaine si je compte correctement. Elle avait été cofondée par 3 étudiants de l‘EDHEC, Raphael Arroche (CEO), Clément Sciberras (COO) et Julien Corbin (CTO).
L’exploitation des données récoltées m’a permis de relever 3 Mensonges Principaux par Omission ou MPO, dans la prose mediumisée du cofondateur.
MPO #1 : Take A Meal faisait partie intégrante du cursus d’un programme de la business school lilloise
Si les 3 cocréateurs ont fait l’EDHEC, au moins l’auteur, a précisé sur son profile LinkedIn, y avoir suivi le Master Entrepreneurship & Innovation. La page consacrée par l’école à la préparation de ce titre, nous indique que son coût est de 24 900 euros.
Elle nous renseigne sur la raison de la création de la start-up qui ressemblait à une mise en pratique obligatoire des savoirs accumulés pendant les 3 premières années à l’EDHEC. Quand on est étudiant, la priorité des priorités est d’avoir son diplôme, particulièrement quand il a coûté un bras.
En septembre 2018, Take a Meal encaissait 10 000 euros grâce au 1er prix du concours Coup de Pouce 2018 de l’EDHEC, en partenariat avec la fondation Le Roch-Les Mousquetaires.
Récompensait-elle la start-up la plus prometteuse ? Moins d’un an après ce geste généreux, Take a Meal pliait définitivement la nappe…
Personnellement je ne crois pas que l’on puisse enseigner l’entrepreneuriat dans une école. Les valeurs humaines indispensables ne s’apprendront jamais sur ses bancs, quel que soit son prestige. Je veux parler des qualités de résilience, de passion et de… persévérance.
Dans ma newsletter bimensuelle Kchehck 31 (inscription gratuite en bas de ce post-mortem pour celles et ceux qui ne sont pas abonnés), j’ai rendu hommage au fondateur de la société de capital risque Sequoia, Don Valentine, décédé le 25 octobre 2019. J‘y mentionnais une vidéo d’un exposé de l’investisseur californien en 2010 devant des étudiants de l’université Stanford.
Avec humour, le célèbre VC soulignait au début de son intervention, qu’il n’avait jamais investi dans un diplômé de Stanford. Sequoia ne prenait en considération que la taille du marché adressable et jamais le pedigree de ses fondateurs…
Cela m’amène naturellement à évoquer le second MPO
MPO #2 : L’absence de marché était inscrite avant la naissance de la start-up
Une simple observation attentive préalable aurait permis à nos entrepreneurs en herbe d’éviter de s’égarer dans la ville du lieu de leur école. C’était la seule justification à ce choix géographique de la première cible commerciale.
C’est ma conclusion quand je lis ce passage sur Medium
Lille avait cependant quelques désavantages :
• Peu d’entreprises dans le centre de Lille et inversement peu de restaurants en dehors du centre de Lille : ce n’était pas l’idéal pour de la vente à emporter.
• Les files d’attentes pour déjeuner sont raisonnable, ce qui ne met pas en valeur l’aspect coupe-file.
• Idem pour le prix du déjeuner : il est possible de bien déjeuner pour moins de 10€ à Lille, les réductions apportées par notre service étaient donc moins alléchantes.
Il n’y avait pas besoin de créer une start-up pour intégrer cette réalité factuelle directement observable par chaque Ch’ti !
En résumé, l’absence de marché à Lille aurait pu être facilement anticipée par nos 3 étudiants en marketing aussi !
Sur Lille, on notera que Just Eat semble avoir abandonné la vente à emporter. Il est impossible de cocher cette option présente à l’intérieur des cartes publiées malgré ce libellé
Bonjour Lille ! Vous pouvez désormais commander votre repas sur Just Eat et aller le chercher directement au restaurant. Alors rien que pour vous, voici notre liste de restaurants partenaires proposant le “A emporter”. Bon appétit !
L’incursion tardive de la start-up à Paris ne se justifiait que par le partenariat établi entre l’EDHEC et Station F
Nous offrons un accompagnement structuré et complet de l’idée jusqu’au développement et l’accélération de l’entreprise. Les start-up incubées dans le programme EDHEC de Station F bénéficient d’un coaching individualisé, d’un espace de co-working dédié favorisant l’échange et la collaboration entre entrepreneurs, d’un programme de mentoring mobilsant 150 diplômé de l’EDHEC, de workshops thématiques s’appuyant sur un réseau d’experts… le tout au sein d’un écosystème bouillonnant unique au monde rassemblant tout les acteurs de l’entrepreneuriat.
Leur modèle, la new yorkaise MealPal avait antérieurement choisi 2 arrondissements identiques (le 2e et le 9e) quand elle a débarqué à Paris avant eux, le 10 octobre 2017.
Take a Meal n’était qu’un copycat au point d’avoir imité servilement leur page d’accueil !
Mary Biggins, la cofondatrice et CEO de MealPal a décidé de fermer boutique aussi discrètement que définitivement, après seulement deux ans d’exploration du marché parisien, à la fin du mois dernier.
Tout cela confirme encore plus s’il en était besoin, qu’il n’y avait tout simplement pas de marché en France, ni à Lille, ni à Paris, pour un “Netflix du plat à emporter”.
ÀMHA, la raison est avant tout culturelle. Avec le Doggy bag, le Take Away font partie historiquement des us et coutumes des pays anglo-saxons. Ils répondent à des habitudes ancrées chez leurs habitants bien avant le déploiement grand public d’internet. Paris n’a été que le 14e choix d’implantation de MealPal. Après les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et l’Australie, la prise de la capitale française faisait sans doute partie de la conquête du monde promise à ses VC’s. Après tout, ils avaient apporté 35 millions de dollars en deux tours de table pour y parvenir.
MPO #3 : Où sont les fans ?
En prenant connaissance de la page Facebook de Take a Meal, je me suis aperçu que ses premiers clients provenaient surtout du campus de l’EDHEC.
Je restais sur ma faim. Si le document Medium développait longuement la partie construction de l’offre de restaurants, il était beaucoup moins volubile et spécifique sur les convives réguliers de la FoodTech lilloise.
Combien étaient-ils ? à Lille ? Puis à Paris ?
Je finissais par douter qu’ils furent aussi nombreux que la centaine annoncée de restaurants lillois partenaires…
Je termine sur une citation plus précise de celui que j’ai désigné sous l’expression du Jardinier de la Silicon Valley. Elle est directement extraite d’un post de Something Ventured daté du 15 novembre 2007. Son titre est Wisdoms of Sequoia’s Don Valentine
All companies that go out of business do so for the same reason – they run out of money.