Le projet Fred de la compta est né à Paris en 2013 dans le cabinet d’expertise comptable Next2You, créé le 4 janvier 2007. Ses deux créateurs sont Romain Passilly, serial entrepreneur dans le secteur du tourisme et René-Pierre Marionneau, chef d’entreprise, expert-comptable et commissaire aux comptes.
Pour émanciper Fred, ses deux parents ont créé l’entreprise Fred, le 3 février 2016, sous la forme juridique d’une SAS au capital de 1 220 euros, ayant son siège social à la même adresse physique que Next2You.
Fred de la compta propose aux TPE/PME, l’externalisation du traitement comptable de leurs factures fournisseurs. Nous n’en sommes pas encore au 0 tracas MMA car le client doit toujours scannériser lui-même chaque facture, avant de la sauvegarder sur la plateforme web de Fred, afin qu’elle génère l’écriture comptable correspondante.
Le prix de base du service est de 19 euros par mois incluant un forfait annuel de 200 factures scannées, plus un montant variable de 0,75 à 0,50 euro hors taxes par facture supplémentaire, en fonction du volume de documents annuel confié. En théorie au moins, cela resterait très compétitif par rapport au coût moyen de traitement d’une seule facture fournisseur évalué à 15 euros par EY.
Fred de la compta bénéficie de l’expérience en Made in Madagascar de René-Pierre Marionneau. Le site web du cabinet à son nom nous informe qu’il a été un pionnier dès 2007, de la saisie comptable low cost délocalisée dans l’océan Indien.
Fred de la compta a bouclé en juin 2016 une première levée de 550 000 euros auprès des fonds d’investissement The Family, Kima Ventures, SGH Capital et Pentalabbs.
En septembre 2016, elle a fusionné avec une autre start-up, White, afin de parvenir à remplacer les comptables malgaches par leur propre Intelligence Artificielle, dont l’algorithme est toujours en cours de développement à ce jour, pour être 100% opérationnelle chez les clients.
À l’occasion de ce rapprochement capitalistique, les deux fondateurs de White sont devenus actionnaires de Fred de la compta et ont intégré son équipe dirigeante, Milla Olivier en tant que CTO et Benjamin Deplus comme directeur général. Romain Passilly est resté le CEO et René-Pierre Marionneau, l’expert métier.
Après s’être adressé aux entreprises sans grand succès au regard du chiffre d’affaires réalisé en 2016, Fred de la compta dans un pivot à demi avoué, concentre ses efforts aujourd’hui sur son offre à destination de tous les cabinets d’expertise comptable. Ce sont eux qui supporteraient alors le coût du service “gratuit” pour leurs clients, en espérant pouvoir se rembourser sur les économies en main d’œuvre réalisées.
Il est encore bien trop tôt pour savoir si cette offre saura séduire cette profession très réglementée et pas spécialement réputée pour son goût immodéré des sauts à l’élastique 😉.
La campagne d’Equity Crowdfunding de la société Fred de la compta sur la plateforme Anaxago a atteint 1 146 800 euros, le vendredi 31 mars 2017 au matin. Elle a dépassé son objectif initial d’augmentation de capital de 1,1 million d’euros, dont 600 000 euros apportés par ses actionnaires historiques sauf Kima Ventures. Le nouvel objectif établi à 1,2 million d’euros devrait être atteint sans problème. Le montant minimum pour investir est de 2 000 euros.
Malgré ce succès de souscription, je vous présente les 3 raisons principales qui font que je n’investirai pas personnellement dans l’Equity Crowdfunding de notre jeune apprenti-comptable Fred, un peu trop mono tâche à mon goût, même s’il est très sympathique :
Raison Principale #1 : Fred est un hipster qui ignore la frugalité
Comme l’a déclaré Ronan Le Moal, CEO du Crédit Mutuel Arkéa, à l’occasion de l’évènement régional Planète e-commerce organisé à Vannes, jeudi 30 mars 2017 :
on peut créer des belles choses avec beaucoup de frugalité
Fred ne connait pas la frugalité. Il a déjà organisé deux méga fêtes qui ont dû lui coûter à chaque fois un bras, si je dois en juger par le visionnage de cette première vidéo intitulée #PARTYFRED N°1 postée sur YouTube le 12 octobre 2015 et cette seconde vidéo postée sur la page Facebook de l’entreprise, le 13 décembre 2016 et nommée Block Party 2k16 de Fred.
En plus, je ne suis pas sûr que cette communication décalée soit vraiment adaptée à la cible des experts-comptables présents qui pourraient être choqués, en essayant de reconstituer le coût de revient de ces soirées extravagantes, ne serait-ce que par simple réflexe professionnel.
Un commentaire laissé sous la vidéo Facebook résume bien la situation :
c’est beau d’avoir de la thune LOL
Chaque mois, l’entreprise doit supporter les charges fixes d’une masse salariale impressionnante pour une équipe d’une dizaine de personnes, dont le montant est loin d’être couvert par son chiffre d’affaires… Merci le crédit d’impôt recherche ou CIR pour ses intimes qui transforme la France en paradis fiscal et merci aussi aux généreux actionnaires actuels et futurs…
Alors, quand aura lieu la teuf 2017 de Fred ? Sera-t-elle sponsorisée cette fois par Objectif Fred, la SARL créée pour héberger les nouveaux actionnaires via Anaxago ? Avec ce que j’écris, je ne serai certainement pas invité. Après tout c’est normal, il ne faut pas cracher dans la coupe de champagne ! Je suis d’accord.
Raison Principale #2 : Fred n’a pas encore fait ses preuves de simple comptable
Fred n’effectue que l’enregistrement des écritures comptables liées aux factures fournisseurs. Cela n’inclut pas la paye, la gestion du compte bancaire, le suivi budgétaire, la comptabilité analytique, les déclarations à l’URSSAF, le calcul du total de la TVA dû,… bref juste un aperçu non exhaustif de l’ensemble des tâches d’un simple comptable qui ne prétend pas être un expert.
L’enregistrement des factures d’achat n’est qu’une toute petite partie de la comptabilité et la tâche de Fred se résume à la (plus ou moins bonne) tenue de comptes de fournisseurs !
La partie non malgache de Fred à base d’Intelligence Artificielle travaille avec un taux d’exactitude déclaré par ses créateurs de 75%. Ce taux oblige dans les faits à valider chaque document manuellement et à maintenir une sous-traitance malgache avouée à demi-mot. Où sont les preuves des gains de productivité déclarés dans la note d’opération d’Anaxago de 38 pages qui doit faire office de “due diligence” ?
Tout cela me fait penser à l’automate joueur d’échec ou turc mécanique du XVIIIème siècle où un humain se cachait à l’intérieur de la machine, pour donner l’illusion d’une intelligence de jeu 100% artificielle.
J’ai bien peur que les progrès, réalisés par l’équipe en charge du développement de l’algorithme, ne soient pas linéaires pour atteindre un taux plus proche des 100%. Cela signifie que la V2 annoncée pour juin 2017 ne permettra pas de se passer aussi rapidement et complètement d’une supervision humaine. Il faudra des années de travail supplémentaires pour y parvenir, avec de nouveaux besoins financiers non chiffrés, mais certainement en millions d’euros. Pendant ce temps, il sera difficile, au seul commercial de Fred recruté en décembre 2016, de convaincre des experts-comptables de faire travailler Fred tout en le rémunérant au tarif contractuel…
Fred risque de rester un simple apprenti chez les experts-comptables qui l’expérimentent à l’image de CAPEC à Dijon en 2016… Je suis entré en relation avec son chef de projet via Twitter il y a 48 heures, pour pouvoir lui poser des questions sur cette expérimentation, mais je n’ai pas encore reçu la moindre réponse…*
Raison Principale #3 : Fred ne justifie pas la valeur qu’il réclame
Les nouveaux actionnaires de la campagne d’Equity Crowdfunding sur Anaxago entrent indirectement au capital de Fred de la compta avec une valorisation doublée depuis la première augmentation de capital en juin 2016.
Rien ne justifie à mes yeux ce doublement. La valeur ajoutée de l’intégration de la technologie de White doit encore faire ses preuves dans le monde réel.
Fred surestime la taille de son marché. Les cabinets comptables clients potentiels ne seront pas les 3 majors : KPMG, Deloitte et EY, qui avec un chiffre d’affaires cumulé supérieur au milliard d’euros, ont chacun les moyens de développer leur propre solution d’automatisation.
La cible me parait plus être les petits cabinets d’expert-comptables qui exercent en profession libérale et encore, uniquement pour leurs clients qui n’emploient pas de comptables pour passer eux-mêmes, ce qui reste être de simples écritures. Ça ne concernerait donc potentiellement que les petites entreprises qui confient à leur expert-comptable, la saisie des écritures et l’enregistrement des pièces.
En conclusion, Fred de la compta est dans le meilleur des cas, plus une fonctionnalité qu’une solution complète comme Quickbooks. Je ne crois pas à son déploiement à grande échelle commerciale tant que le niveau de l’IA ne sera pas fiable à 99%.
*Guillaume Dubost, le chef de projet de CAPEC a finalement répondu à toutes mes questions vendredi 31 mars au soir via Twitter. L’expérimentation avec White a été stoppée à l’initiative de CAPEC. J’ai invité Guillaume à s’exprimer plus en détails en utilisant la partie commentaires du blog.
Merci Michel pour cette due-diligence faite de manière très approndie.
Si j’ai, pour ma part, choisi d’investir dans cette startup c’est pour la disruption qu’elle peut apporter dans le domaine de la comptabilité, que ce soit à travers sa marketplace ou avec l’automatisation du traitement des documents comptables (qui couvrira de plus en plus de types de documents). Ce secteur est certes frileux : il y a des convaincus et les autres qui rejettent cette nouvelle approche.
Au-delà du budget communication que vous citez en premier point, ces évènements sont aussi l’occasion de réseauter et de faire connaître la toute jeune marque “Fred de la Compta”, notamment aux jeunes entrepreneurs qui ne veulent pas “se prendre la tête” avec leur comptabilité. Le rapprochement avec White a permis de développer l’automatisation de la numérisation des documents comptables. Ce genre de révolution ne peut pas atteindre (et ne pourra jamais) atteindre les 100% mais cela permet de dégager beaucoup de temps pour le comptable et de se focaliser sur sa vraie valeur-ajoutée : son expertise. Aujourd’hui, cela peut passer par un traitement offshore, mais la technologie (Machine Learning, etc.) progresse. La vision des fondateurs m’a paru claire et l’équipe aussi bien que la technologie prêtent à scaler les prochains mois et années.
Cordialement,
Fabien RAYNAUD
http://www.FabienRaynaud.com
Merci pour votre commentaire Fabien. Je pense que ce qu’a réalisé l’équipe White à ce jour, a atteint un plateau et qu’il faudra des moyens humains et financiers, hors de leur portée actuelle et future, pour atteindre une solution opérationnelle simplement acceptable par leurs clients, sans parler de 100% de fiabilité, disons 80%. Chaque 1% de progrès nécessitera des millions de dollars et des années d’experts reconnus. La question que je me pose, est-ce que cela en vaut la peine au regard de simplement automatiser la saisie des écritures comptables des factures fournisseurs qui ont la caractéristique de ne pas avoir de standard de présentation ? Pour y répondre sérieusement, il faudrait en faire l’étude par des experts extérieurs à l’entreprise pour en assurer l’objectivité. AMHA la saisie à Madagascar restera la seule solution viable pour de nombreuses années encore. Mais là la concurrence sera très sévère et ils le savent certainement…
Si White avait développé une technologie originale, ils auraient déjà fait l’objet d’un rachat par Microsoft qui les connait très très bien pour les avoir hébergés dans leur incubateur…
Le temps nous dira qui avait raison mais je comprends qu’on investit pas toujours pour gagner de l’argent, il y a une dimension sportive, fun, sentimentale aussi à suivre les progrès de nos hipsters qui me rappellent ceux de Vodkaster qui voulaient tout simplement faire mieux que Netflix…