Notre technologie améliore de manière fondamentale les capacités humaines (Marcus Weller – CEO de Skully – Août 2014)
Wahou ! Quelle déclaration ! Elle est extraite de la vidéo de promotion de la campagne de Crowdfunding de Marcus. Ces quelques mots auraient sans doute été suffisants pour activer mon bullshit detector, mais je risque l’excès de vitesse. Ne brûlons pas les étapes et revenons ensemble, tranquillement si vous le voulez bien, au tout début d’une campagne de Crowdfunding qui vient de connaître une sortie de route fatale.
Marcus Weller et son frère Mitchell ont créé en 2013 la société Skully à San Francisco, afin de mettre au point, fabriquer et commercialiser, un casque connecté pour motards fortunés ou… prêts à s’endetter.
Marcus a-t-il voulu jouer à Tony Stark, le héros et dieu du design industriel de Iron Man ?
Je vous invite à vous forger votre opinion en lisant la suite.
Les deux membres de la famille Weller sont des pilotes catégorie amateurs. Marcus a eu la vision dans un rêve, après un accident de la circulation à Barcelone, de la nécessité d’avoir un casque bourré d’électronique qui supprimerait les angles morts et réduirait en conséquence les risques d’accidents de manière drastique. L’idée du Skully venait de naître !
Le Skully était à la base un casque made in China d’entrée de gamme type LS2, dans lequel ont été greffés : un mini écran à affichage tête haute, une caméra avec un angle de 180° à l’arrière du casque pour bien voir la route derrière soi, la technologie Bluetooth permettant de communiquer avec son smartphone via une application dédiée, un GPS, un microprocesseur, une batterie,…
En résumé, le Skully était au casque moto, ce que la première génération des Google Glass était aux lunettes. Le prix proposé était à la hauteur de la promesse : jusqu’à 1 500 dollars hors taxes l’unité et les frais de livraison en supplément.
Pour soit-disant financer l’industrialisation du Skully, les frères Weller ont fait une campagne de Crowdfunding sur la plateforme Indiegogo entre le 11 août et le 9 octobre 2014. L’Objectif Financier Minimum de 250 000 dollars a été atteint en 8 minutes, un record de vitesse en 2014 pour Indiegogo ! 2 446 824 dollars ont été finalement collectés contre l’engagement de livrer 1 708 casques. Leurs dates prévisionnelles de livraison étaient fixées au départ, à mai ou juillet 2015, selon l’offre retenue.
Fin juillet 2016, l’entreprise Skully a fermé ses portes définitivement, sans tenir ses engagements auprès de tous ses 1 940 contributeurs. C’est un simple et long article dans le média web TechCrunch qui leur a annoncé la fermeture.
La campagne a reposé sur un immense malentendu, plus fréquent qu’on ne le croit, entre les créateurs et les contributeurs, portant sur la destination de l’argent du Crowdfunding.
Les Foules Participatives pensent financer les dépenses directes liées à la réalisation de l’objet de la campagne de Crowdfunding : outillage, moules, exemplaires de pré-série, production, packaging et logistique. Les créateurs quant à eux utilisent l’argent ainsi collecté pour financer en priorité toute égotique, le fonctionnement dispendieux de leur start-up : la location de bureaux luxueux par rapport parfois au garage d’origine, des recrutements de personnel, des salaires élevés, des dépenses ostentatoires,… Le risque bien réel est de tarir le flux financier reçu avant d’avoir livré les contreparties promises.
Mais bon, c’est le prix à payer, mais de préférence par les contributeurs, pour que les créateurs aient leur petit quart d’heure de célébrité. Il ne faut pas démentir la célèbre prophétie d’Andy Warhol ! Ces créateurs viennent de Mars, leurs contributeurs viennent de Vénus, pour reprendre en l’adoptant au contexte du Crowdfunding, le titre du fameux ouvrage de John Gray.
Intel Inside
Skully avait au départ fait le plein en carburant. En plus des 2 446 824 dollars de la campagne de Crowdfunding Indiegogo, la start-up avait collecté 1,5 million de dollars en janvier 2015 et 2 mois plus tard, 11 millions de dollars soit un total de 12,5 millions de dollars auprès de 11 investisseurs en capital risque dont Intel Capital.
Tous ces millions de dollars n’ont pas empêché la panne sèche définitive, à peine deux ans après le début de la campagne de Crowdfunding !
La start-up a cramé plus de 679 000 dollars de cash par mois et aurait livré moins de 100 casques d’une pré-série. Cela fait un coût minimum de production de plus de 149 000 dollars par casque disponible, si je veux remuer le couteau dans la plaie. A ce prix là, je comprends qu’un des heureux et chanceux destinataires ait mis en vente son précieux casque aux enchères sur eBay… C’est un collector !
La fermeture définitive de l’entreprise laisse sur le bord de la route, 1 940 contributeurs qui ont perdu collectivement des millions de dollars et 50 salariés, qui ont été licenciés. Il y a des malentendus qui coûtent chers !
Vous remarquerez cher ami lecteur attentif, que cette fermeture intervient juste un an après la deuxième date prévisionnelle de livraison des casques. Elle rattrape tout en la validant, la nouvelle règle d’inscription automatique au BOCCAE ou Bulletin Officiel des Campagnes de Crowdfunding Ayant Echoué :
Une campagne de Crowdfunding est un échec lorsque les créateurs n’ont pas livré, un an après la date prévisionnelle de livraison, les contreparties promises.
Nous pourrons donc tamponner en dessous du nom des deux frères Marcus et Mitchell Weller : Failure/Echec/shī pour leur campagne de Crowdfunding Indiegogo au titre tout plein d’humilité, cela ne s’invente pas : Skully AR-1 The World’s Smartest Motorcyle Helmet.
Si notre bullshit detector avait existé en 2014, aurait-il pu éviter ce crash en exerçant un simple speed-checking ?
La première alerte n’aurait pas fonctionné. Les technologies pour réaliser le Skully sont disponibles et donc réaliser un casque ayant ses fonctionnalités, était tout à fait du domaine du possible comme le prouve le projet en cours de BMW.
Est-ce que les fondateurs avaient les compétences pour réaliser ce casque ? En fait je pense que c’était un projet trop lourd pour leurs épaules, un peu comme leur casque de près de 2 kilos ! Aucun des deux frères, bien que passionnés par le pilotage des motos, n’avait l’expérience industrielle nécessaire.
Ce n’est pas parce que vous aimez faire des crêpes chez vous, que vous êtes apte à ouvrir une crêperie ou alors votre rêve peut devenir très vite un nouvel épisode de Cauchemar En Cuisine !
En février 2016, Martin Fichter, un cadre supérieur expérimenté, a été recruté comme COO, puis quelques jours avant la fermeture de l’entreprise, a été nommé CEO, en remplacement de Marcus qui avec son frère, ont alors été éjectés par les actionnaires. Mais il était trop tard. Les investisseurs ont préféré fermer la pompe à dollars plutôt que de continuer l’aventure. Peut-être se sont-ils aperçus mais un peu tardivement, que le Skully n’était que du vaporware ou au mieux un accessoire pour les studios de cinéma voisins d’Hollywood !
La troisième alerte était qu’il n’y avait pas de démonstration d’un prototype fonctionnel prêt à être industrialisé en série disponible en août 2014, pas plus d’ailleurs en juillet 2016 ! La vidéo d’introduction était de nature à tromper les contributeurs potentiels, par l’utilisation de trucages pour illustrer de manière quasi onirique, la projection des images fournies par l’électronique du Skully.
En conclusion, un simple speed-checking aurait permis aux contributeurs de passer leur chemin et d’économiser chacun, des centaines de dollars !
Pour comprendre leur colère, je vous recommande cette vidéo sur YouTube d’un motard qui regrette amèrement d’avoir participé à la campagne de Crowdfunding du Skully…