Justine Hutteau et sa start-up Respire : C’est un beau roman, c’est une belle histoire à laquelle ses fans ont envie de continuer à y croire…

J’ai lu attentivement l’article publié sur LinkedIn le 28 juin 2019 intitulé Respire, une marque (finalement) comme les autres ? Le sujet m’avait suffisamment intéressé pour décider d’en faire un post. Je voulais cependant dépasser l’écume générée par ce texte sur le réseau social des professionnels. Intuitivement, je pensais que l’essentiel était ailleurs. Je voulais mieux comprendre la start-up Respire et sa créatrice Justine Hutteau.

Son auteur Carl Riachi, fondateur et CEO de Botëval, reprochait à Respire de commercialiser sous sa propre marque, une crème solaire préexistante, produite par un laboratoire qui l’avait vendue déjà en marque blanche à une autre société.

Bref, Carl Riachi accusait Respire de s’approprier une formule de cosmétique qui ne lui appartenait pas. Le pamphlet avait généré au vendredi 12 juillet 2019, 510 commentaires et 84 partages. Parmi eux, la cofondatrice de Respire tentait tant bien que mal d’éteindre ce début d’incendie de broutille estivale

Bonjour à tous, je réagis à l’article pour clarifier plusieurs points :

1. Bien sûr que je ne suis pas la seule à élaborer les produits ! On a travaillé avec plusieurs laboratoires (depuis le début de Respire), qui sont tous experts dans leur domaine. Pour le solaire, il a été très difficile de trouver des experts sur des formules solaires saines et efficaces. Nous travaillons avec un laboratoire breton depuis fin 2018 avec un cahier des charges très précis. Le Directeur du Laboratoire peut l’attester.

2. Encore une fois, nous sommes encore tout petits et n’avons pas les moyens des grandes multinationales. Quand nous travaillons sur une formule avec un laboratoire, nous ne pouvons l’acheter car cela est beaucoup trop cher. Le laboratoire est tout à fait libre de la commercialiser à d’autres marques, nous ne pouvons pas l’empêcher.

3. Et c’est très bien car notre mission c’est que chacun puisse consommer de meilleurs produits pour leur corps. Nous n’avons pas le monopole des bonnes formules, et on [est] très heureux que d’autres marques s’engagent aussi à proposer de bons produits et faire évoluer les habitudes de consommation !

Mais revenons quelques mois en arrière si vous le voulez bien…

Entre le 5 novembre et le vendredi 7 décembre 2018, Justine Hutteau a animé une campagne de Crowdfunding sur la plate-forme Ulule, pour financer la production de son stick déodorant. L’objectif minimum était d’en vendre 300, elle a fini par faire exploser le compteur avec 21 018 unités pré-vendues dont celles commandées par Laure Manaudou. 6 mois plus tard, le produit a été référencé à l’échelle nationale par la chaîne de magasins appartenant au groupe Casino, Monoprix.

Ensuite les apparitions médiatiques de Justine Hutteau se sont enchaînées dont dans 3 émissions sur BFMTV en seulement 5 semaines… Quand on aime, on ne compte pas !

Le 16 mai 2019 dans l’émission de Erwan Morice, After Business

Le 29 mai 2019 dans l’émission de Stéphane Soumier, Good Morning Business

Le 25 juin 2019 dans l’émission de Sébasien Couasnon, Tech&Co.

Une speed-analysis Kchehck de Respire donne haut la main la note maximale Ka+.

Tout est là, la communauté, la faisabilité et le modèle économique malgré les couacs de logistique, rançon de la fulgurance du décollage, je suppose…

Je pourrais terminer maintenant l’analyse. Bon elle serait courte mais c’est l’été. J’aurais joué en quelque sorte dans le registre C’est dingue ! de Stéphane Soumier. Le journaliste est admiratif de ses chiffres de vente, aussi extraordinaires qu’il a du mal à en expliquer les racines, dans l’immédiateté de son émission T.V.

Mais je passerais peut-être à côté des traits de la personnalité de Justine Hutteau elle-même. C’est pour cela que je vous propose que l’on s’y attarde. Après tout, elle est la principale actrice d’une histoire scriptée au mot près.

N’oublions pas que plusieurs dizaines de milliers de femmes et d’hommes se sont attachés à ses photos et vidéos publiées sur les réseaux sociaux, d’Instagram à LinkedIn.

Justine me ferait penser à Martine

Justine, c’est un peu l’équivalent pour adultes d’une version numérique moderne des aventures de l’héroïne Martine, petite fille d’une dizaine d’années qui vit des « aventures » simples ancrées dans le quotidien. Martine, issue aussi d’une série T.V. diffusée notamment sur M6, est définie encore sur Wikipedia par ces mots

Le personnage principal, écolière intelligente, gentille et amie fidèle qui aime user de stratégie pour résoudre les problèmes de ses amies ; mais aussi rusée et n’hésitant pas à mentir pour arriver à ses fins.

J’ai lu de la première à la dernière page, le mémoire de la jeune femme pour finaliser ses longues études de Marketing à HEC Montréal. Son document de 107 pages publié en avril 2018 a pour titre

Micro-influenceuse sous influence : autoethnographie de @Just_in_run

Pour le réaliser, Justine va se raconter sur Instagram à la première personne, à partir de février 2017. Au fil des mois, elle devient une véritable micro-influenceuse du running, rémunérée en nature par des marques, qui veulent exploiter ses aventures sportives aux 4 coins de la planète. Dans la partie Remerciements placée au début et s’adressant à son mémoire, j’ai noté cet extrait

À travers toi, j’ai fait naître @just_in_run sur Instagram, mon  moi » en ligne comptant aujourd’hui 18248 abonnés. J’ai passé 418 jours à me préoccuper quotidiennement de son évolution, de mes abonnés et de l’image que je véhiculais. Pour toi, j’ai passé un an et demi à essayer de mettre des mots sur mes ressentis et mes émotions les plus profondes.

Ce double numérique, projection pudique et publique d’elle-même sur le réseau social, déborde parfois à son insu dans sa vie privée, malgré ses efforts pour la cloisonner hermétiquement des conséquences de son (sur)moi virtuel…

Le matin du 8 mars 2018, il s’est passé un évènement inattendu : un abonné m’a reconnu
dans le métro parisien, mais il ne s’est même pas manifesté. À la place, il m’a envoyé un
message pour me le dire : « Bonjour Justine ! Je viens de te croiser dans le métro. J’étais
pas sûr que c’était bien toi. J’ai hésité à te demander… Dis-moi, j’ai flashé sur tes baskets,
tu peux me dire quel modèle c’est ? » (Guillaume, 8 mars 2018). Au moment où j’ai reçu
ce message, je sortais du métro, un jeudi matin à 9h15 pour aller travailler, et je n’étais
absolument pas en tenue de running. Je n’avais jamais imaginé qu’on puisse me
reconnaître dans une autre situation qu’en course officielle ou sur un évènement relié à la
course à pied. J’ai un peu le sentiment que ma vie de runneuse Just_in_run, je la partage,
donc j’accepte qu’on me reconnaisse dans une situation reliée à la course à pied, mais ma
vie de Justine Hutteau, c’est ma vie privée, je ne pensais même pas qu’on pourrait me
reconnaître.

Afin de réussir à atteindre son objectif scolaire, Justine n’a donc pas hésité à se transformer en Just_in_run sur Instagram alors qu’elle n’avait jamais participé avant à un marathon. Aujourd’hui cet alias a été abandonné au profit de celui de JustineHutteau. Sa page comptabilise au moment où j’écris ce post, une communauté de presque 40 000 abonnés. Ils suivent ses nouvelles aventures entrepreneuriales parisiennes à la façon d’un roman-photo en Technicolor.

Après avoir été l’égérie de plusieurs marques en tant que runneuse, Justine a décidé de prêter son image de jeune startupeuse brune attrayante, toujours souriante et dynamique, pour les besoins de sa nouvelle cause professionnelle. Ses talents de micro-influenceuse récemment acquis allaient convenir parfaitement afin de promouvoir avec succès sa gamme naissante de produits de soins pour le corps.

Son storytelling personnel exposé sur les réseaux sociaux et repris par les médias est la raison d’être de l’existence même de la start-up et pas simplement un de ses composants. Il n’a pas vocation à être 100% véridique, il se doit d’être tout simplement crédible afin d’aider à l’accomplissement de la mission de l’entrepreneuse. La start-up n’est que l’outil au service de la vie mise en scènes de Justine Hutteau

J’ai eu un gros déclic début de l’année 2018 parce qu’on m’a détecté une tumeur bénigme à la poitrine et c’est là que les médecins ont commencé à m’expliquer les méfaits des déodorants, les mauvais ingrédients qu’il y avait dedans, surtout les ingrédients controversés et ils m’ont vraiment incité à mettre du déodorant qui soit naturel et plus sain pour mon corps. Ce que j’ai fait sauf qu’aucun des déodorants que j’ai testé n’était efficace. Du coup j’ai décidé de le créer… (Justine Hutteau, extrait de son interview vidéo pour Les Mutants)

Quand vous achetez un bâtonnet Respire, vous possédez physiquement votre bâton parfumé de marathonien(ne) virtuel(le) afin de vivre par délégation, ses aventures sur Instagram ou LinkedIn. Le déodorant et la crème solaire sont des accessoires du storytelling, faisant partie de la panoplie de la parfaite Justine Hutteau grâce à une retouche de couleurs vives (filtre C2 sur la plateforme VSCO).

La prolongation de sa narration est conçue pour assurer le succès de son entreprise commerciale.

En ce samedi 13 juillet sur la page Instagram de Respire, vous découvrez la photo de Justine en train de tester sur la peau de son bras gauche, le spray de la lotion solaire Respire, devant le paysage d’une Méditerranée bleu azur en Grèce…

En ce dimanche 14 juillet, elle vous fait part des conséquences d’une mauvaise chute

Respire soigne autant le soul que le body de ses fans

Les client(e)s de Respire sont d’abord des personnes qui s’identifient au personnage créé par Justine sur Instagram et qui vivent par procuration son histoire. Peu importe qu’elle comporte des petits mensonges ou approximations, l’important est la cohérence d’ensemble du récit. Il doit permettre de croire être l’ami(e) de Justine, de vivre par substituts les moments de sa vie qu’elle a décidé de partager sans aucune innocence.

Alors vouloir briser cette narration en dévoilant que le déodorant ou la crème solaire n’ont pas été créés dans la vraie vie par Justine n’a pas vraiment de sens pour ses fans.

Ils ont acheté un bout de son histoire et ils ne désirent pas forcément que l’on brise leur rêve. Imaginez comment le spectateur du film En eaux troubles voudrait être interrompu en cours de séance de projection, par un inconnu venu lui expliquer que les vrais mégalodons ont disparu, il y a plusieurs millions d’années…

Le stick déodorant est peut-être quelconque et pas aussi original que présenté mais son utilisation procure à ses client(e)s, l’impression de connaître personnellement Justine Hutteau, comme l’admirateur du métro cité plus haut.

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Justine Hutteau et sa start-up Respire : C’est un beau roman, c’est une belle histoire à laquelle ses fans ont envie de continuer à y croire…

9 réflexions au sujet de « Justine Hutteau et sa start-up Respire : C’est un beau roman, c’est une belle histoire à laquelle ses fans ont envie de continuer à y croire… »

  1. J’ai lu jusqu’au bout, car je me suis fait avoir par le terme de startup, que l’on utilise amha à tort et à travers
    Ici l’histoire est intéressante et bien racontée, mais je vois juste l’histoire d’une jeune entrepreneure du secteur cosmétique
    Pas grand-chose à se mettre sous la dent quand on est fan de digital. Contrairement à toi, je n’arrive pas à regarder l’émission sur M6 dont tu parles ou bien Stephane Soumier car ça peut vaguement parler d’internet ici et là pour faire genre, mais ce sont avant tout des histoires d’entreprises très classiques.

    1. Merci. En fait David, l’histoire de Justine n’aurait pas été possible sans la communauté qu’elle a su créer sur Internet via Instagram et LinkedIn. Je m’intéresse à toutes les start-up et pas seulement à celles du numérique. Je suis d’accord que le mot start-up est mis à toutes les sauces. J’ai une passion pour toute l’économie entrepreneuriale.

  2. Charlotte DESACHY dit :

    Bonjour,
    Merci pour ces éclairages.
    Je m’interroge sur plusieurs points que vous soulevez dans cet article.
    Je suis d’accord avec vous sur le fait qu’il n’est pas correct de fonder son marketing sur l’innovation, le fait de proposer des formules uniques, qui n’existeraient pas sur le marché… alors qu’elles y sont déjà. Pour autant, est-ce le cas du déodorant ?

    Avez-vous un élément qui puisse remettre en cause la véracité de l’histoire de la marque (partie du besoin de Justine Hutteau suite à sa tumeur) et relativiser sur la gravité de cette tumeur ?
    Je ne comprends pas dans quel sens s’opère le lien entre la mise en scène de soi de Justine Hutteau et le fait que l’image véhiculée par Justine soit au service de son marketing. Selon vous, la marque a-t-elle été créée dans l’unique objectif de flatter l’image de la créatrice ou, l’image de la créatrice permet-elle de vendre ses produits ?

    Bonne journée,

    1. Bonjour Charlotte,
      Merci pour votre commentaire. Je me place exclusivement au niveau de l’analyse de la start-up sous l’angle de sa communauté, la faisabilité de son activité et son modèle économique en tenant compte également de la qualité de l’équipe.
      Justine Hutteau coche toutes ces cases et c’est pour cela que j’ai attribué à Respire la note Ka+.
      Depuis la publication de mon texte en juillet 2019, la start-up n’a fait que confirmer par ses progrès commerciaux, le bien fondé de cette notation. L’image de la créatrice ainsi que sa personnalité aident à vendre ses produits car ses fans s’identifient à elle. Pour sa communauté, la véracité de son histoire a moins d’importance que la cohérence du récit. Je respecte le secret du dossier médical de chacun(e) et je ne dispose d’aucune information pour remettre en cause la véracité d’une tumeur que Justine a d’ailleurs défini elle-même comme bénigne à de nombreuses reprises dans les médias : “On m’a détecté une tumeur bénigne dans la poitrine, et à 23 ans, …”

  3. Just. dit :

    Merci pour cet article qui est, à quelques détails, près, l’analyse que j’avais également faite de cette entreprise. Pour répondre au commentaire sur la véracité de sa tumeur, oui Justine Hutteau a bien eu un kyste totalement bien à la poitrine.

    Il faudrait retrouver le lien mais elle avait fait une interview vidéo (dispo sur YouTube) où elle devait présenter différents objets qui la représentent elle et sa marque.

    Dessus, elle y présente le bilan évoquant un kyste (très petit).

    Maintenant je sais que la communauté n’y fera pas gaffe et s’en fout sans doute, mais son bilan date de février 2017 alors qu’elle répète avoir eu une tumeur bénigne en 2018.

    Je sais très bien que personne n’y fera attention. Mais c’était le seul petit détail sur laquelle je n’étais pas d’accord avec votre analyse : la cohérence a quelque limite chez Respire.

  4. Lylia dit :

    Bonjour à tous ! Je me manifeste un peu tardivement mais je viens de tomber sur votre article, Michel Nizon.

    Mon point de vue est que plusieurs personnes sont visiblement en mal de reconnaissance et ont un besoin viscéral de se sentir visibles et considérées. Justine Hutteau l’a parfaitement bien compris et s’en sert, à mon sens, à outrance pour servir ses propres intérêts commerciaux et financiers. Vous remarquerez qu’elle est étiquetée comme “co-fondatrice” de la marque Respire alors que son associé est totalement transparent. D’ailleurs, je la pensais seule à bord tellement elle s’impose. Ses produits ne m’ont jamais attirée car le vieil adage dit que “Point trop n’en faut”. J’ai pour principe qu’on ne se sert pas d’une maladie, aussi bénigne soit-elle, pour commercer. A moins de développer, bien entendu, un produit à destination de personnes souffrant d’une pathologie. C’est encore autre chose. Elle a utilisé les réseaux sociaux comme canal de communication premier car on sait très bien qu’elle n’aurait eu aucune chance de voir ses produits exposés directement en magasin. Trop de marques sur le marché et les leaders raflent tout. Elle a trouvé une stratégie payante : être influenceuse, faire des placements de produits tiers puis délicatement placer les siens sans trop d’effort. Et banco, les marchands de sommeil pullulent sur les réseaux. Vous leur vendez du rêve, des valeurs imaginaires et ils y adhérent sans broncher. On oublie leurs ingrédients toxiques, leur demande de tests produits gratuits, leur narcissisme, leurs faux-semblants, etc. C’est bien le principe des réseaux sociaux non ? Regardez les avis négatifs qu’elle a sur Trustpilot et vous comprendrez le personnage. Les clients commencent à voir le revers de la médaille. Pour chasser le naturel, il revient au galop.

  5. Arthur quilleret dit :

    c’est d’une manière générale moins malhonnête que tout ce qu’on peut voir à la télé ou sur les réseaux, le côté naturel et écolo en plus. comme tout ceux qui ont réussi grace à leurs images, leurs personnalités et leurs ténacités, elle s’en sert et très très bien en plus. pourquoi faire un article comme celui-là ? pourquoi ne pas vous attaquer au monde du marketing et de l’audiovisuel dans sa globalité ?

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