Le complexe de NATU

NATU est l’acronyme utilisé couramment depuis 2015 pour désigner les 4 start-up : Netflix, AirBnB, Tesla et Uber. Elles symbolisent la dernière vague numérique venue de Californie à vocation submersible planétaire et qui est certainement la plus disruptive que nous ayons jamais connue.

J’emploie l’expression complexe de NATU pour définir la pathologie de tous les entrepreneurs qui prétendent que leur start-up deviendra l’égale d’une des 4 NATU, en copiant les éléments les plus visibles de leur modèle économique et en désignant simplement une nouvelle catégorie.

Être atteint du complexe de NATU est l’équivalent de l’enfant qui à la question : Que veux tu faire quand tu seras grand ? répond : Je veux être Président du Monde…

Quand vous lisez les médias, vous avez l’embarras du choix pour trouver un nouveau cas, les exemples ne manquent pas et le dernier en date est la start-up rennaise Blacknut qui déclare :

Blacknut souhaite devenir le Netflix des jeux vidéos.

Cette déclaration est la première phrase d’introduction de la présentation de sa demande de financement en Equity Crowdfunding sur la plateforme bretonne Gwenneg. Blacknut a été créée en janvier 2016 par deux serial entrepreneurs : Olivier Avaro et Eric Bustarret.

Leur Objectif Financier est de collecter 500 000 euros avec un Objectif Financier Minimum de 375 000 euros. Au 10 octobre 2016, 50 000 euros ont été collectés auprès de deux investisseurs. Il reste 24 jours avant la fin de la campagne.

Désolé mais J’ai toujours eu un a priori négatif pour les entrepreneurs qui voudraient devenir par exemple la Uber de la livraison de plateaux de fruits de mer ou la AirBnB de la location de vacances entre collègues ou la Tesla des trottinettes pour enfants agés de 3 à 5 ans… 😉

Le succès d’une entreprise n’est jamais le résultat d’un simple copier-coller d’un modèle économique existant qu’il suffirait d’appliquer à une nouvelle catégorie.

Nos deux entrepreneurs sont devenus par leur ambition affichée, les Super Mario d’un jeu entrepreneurial imaginaire dont je me propose de vous faire partager immédiatement ses 6 niveaux de difficulté :

Niveau de jeu #1 : Construire la plateforme

Ce challenge est plus difficile à relever que celui de Netflix. Blacknut nous explique que :

Le jeu est exécuté et envoyé sur le terminal du joueur sous la forme d’un flux vidéo.

Pour l’instant, pas de problème, mais c’est après que les choses se corsent :

L’utilisateur interagit ensuite avec le jeu et renvoie ses commandes au serveur, tout cela en temps réel

Tout cela en temps réel ? Là ça devient beaucoup plus difficile à réaliser et Blacknut n’a pas encore de démonstration ouverte au public pour démontrer que tout cela fonctionne…

Niveau de jeu #2 : Constituer le catalogue

Pour l’instant son catalogue est vide. Dans le meilleur des cas, elle va pouvoir récupérer les fonds de catalogues des éditeurs indépendants. Ne dites pas pour nommer ces jeux que ce sont des antiquités, ce sont des classiques ! Elle ne pourra pas proposer les nouveautés des grands éditeurs, faute de moyens financiers et/ou en raison de conflits d’intérêts potentiels avec eux.

Pour information, Netflix a consacré 8,3 milliards de dollars pour ses acquisitions à fin juin 2016 pour nourrir ses 83,17 millions d’abonnés.

Habiller Pikachu aux couleurs de Blacknut, c’est pas pour demain !

Niveau de jeu #3 :  Débaptiser Blacknut et trouver un nouveau nom

Je me méfie beaucoup de cette mode française chez les entrepreneurs qui consiste à inventer des noms de société qui sonnent américains ou anglais. Au pays de Johnny Halliday, le nouveau nom peut fonctionner mais aux États-Unis, la question est bien plus délicate.

D’après l’Urban Dictionary, BlackNut peut prendre une signification sexuelle extrêmement embarrassante quand on veut notamment cibler les jeunes de moins de 18 ans…

A titre subsidiaire sur la nécessité de changer ce nom, quand on tape Blacknut dans Twitter, il nous propose par défaut aux US :

Including results for blackout. Search only for blacknut instead.

Blackout ? pas terrible non plus…

Niveau de jeu #4 : Acquérir des abonnés directement ou indirectement

Faire des salons et avoir un blogueur visionnaire aux qualités littéraires d’écriture sur l’évolution de l’industrie des jeux vidéos ne suffiront pas, pour attirer des millions de joueurs…

Je ne crois pas dans le modèle grand public de BlackNut faute de moyens financiers mais plus dans le marché BtoB pour commercialiser son offre en marque blanche par Orange, dans l’espoir de devenir le Deezer des jeux vidéos. Oui ok, Deezer c’est plus le Raymond Poulidor de la musique en streaming… mais c’est peut être aussi une ambition plus réaliste.

Dans tous les cas, la tentation sera grande de refiler le grigri de la commercialisation à un tiers…

Attention c’est difficile, G-Cluster qui avait ce modèle économique BtoB avec SFR en France n’est plus qu’un Game is over définitif depuis mai 2016… C’était pourtant la filiale du japonais Softbank !

Niveau de jeu #5 : Répartir le revenu entre ayants droit

Blacknut est dans les faits à la fois un grossiste et un détaillant de jeux vidéo. Je préconise qu’elle négocie un minimum de 80% du revenu net aux éditeurs indépendants pour essayer de gagner un jour de l’argent. Je sais qu’il sera difficile de négocier un tel taux sans s’engager sur un revenu minimum, mais nous sommes au niveau 5 du jeu !

Pas question non plus de pouvoir s’inspirer des méthodes expéditives de négociation de Oswald Cobblepot, le personnage de Gotham, série diffusée sur Netflix

Niveau de jeu #6 : Affronter des concurrents plus expérimentés

La start-up Blacknut est en phase alpha de développement et n’a encore rien à montrer. Il faudra bien plus que les 500 000 euros potentiels de Gwenneg, si les créateurs ne veulent pas essayer de gravir le mont Everest en tongs…

Il existe deux concurrents sérieux pour Blacknut dont seul le premier figure dans les documents du dossier d’investissement :

Concurrent Sérieux #1 : Gamefly

Au départ Netflix était un service américain de distribution de DVD par la poste. Le streaming a été une deuxième étape. La première étape a été cruciale pour assurer le succès que l’on connait.

Gamefly est un service de distribution postale des jeux vidéos de 8 000 titres qui a reçu 10,75 millions de dollars d’investissement notamment de la part de Lehman brothers et de Sequoia. Elle a racheté Playcast Media Systems, un service de streaming en juin 2015. Les prix affichés de l’abonnement sur son site web concernent encore exclusivement la diffusion postale : 15,95 dollars par mois pour un jeu et 36,95 dollars par mois pour 4 jeux.

Concurrent Sérieux #2 : Utomik

Bizarrement absente du dossier d’investissement, Utomik me paraît être la plus grande menace pour Blacknut. Créée 17 mois plus tôt en septembre 2014, elle a déjà levé 3,5 millions de dollars. C’est une start-up originaire des Pays-Bas qui a émigré dans la silicon valley pour y installer son siège social. Elle a juste laissé à Eindhoven ses développeurs.

Elle a déjà une version bêta ouverte avec plus de 340 jeux vidéos disponibles. Le modèle économique est basé sur une offre d’essai gratuite de 14 jours et ensuite un prix mensuel d’abonnement de 5,99 dollars pendant toute la durée de la période bêta. Blacknut saura-t-elle rattraper son retard sur Utomik comme la tortue dans la fable de La Fontaine Le Lièvre et la Tortue ?

 

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Le complexe de NATU

5 réflexions au sujet de « Le complexe de NATU »

  1. Laurent dit :

    Vous êtes assez méprisant avec Deezer…. C’est une belle réussite et je suis sur que les fondateurs de Blacknut signeraient tout de suite pour devenir le numéro 2 ou 3 mondial de leur marché!

  2. Je pense comme toi, ca ne marchera pas.
    J’aurais rajouté comme niveau de difficultée: pour les joueurs, le lag est une donnée importante. Il faut donc que les clients soient fibrés pour espérer avoir un rendu correct.
    De plus, les concurrents sont déjà en place, et ce ne sont pas des petits joueurs:
    steam, M$, sony… Tous le savent, un jour le jeu vidéo sera streamé, et ils ont de l’experience dans le domaine. Même google parvient à streamer ses applis android avant de les faire télécharger.

    M’est d’avis que ces “petits joueurs” ne peuvent malgré leur bonne volonté y arriver.

  3. Terchal dit :

    Tout dépend le catalogue a la sortie je pense
    Car bon quand on voit le catalogue d’Utomik par exemple même si ils sont a + de 500 jeux quand on voit les jeux qui sont dedans perso ça me fait pas envie x)
    Soit des jeux que tout le monde a déja fait, soit des jeux qui ne se sont pas vendu soit des vieux jeux ou des jeux indés que personne connait…
    Et je pense que les gens qui pourraient être intéressé par ce genre d’offres c’est ceux n’ayant pas forcement de consoles/PC assez puissant pour faire tourner les jeux actuels

    Bref pour être franc je ne pense pas que ça intéresseraient beaucoup de monde de payer un abonnement par mois pour jouer a des jeux qui ont déjà quelques années de trop ou alors de trop petit jeux indés qu’on finit en général très vite…

    Bref on en saura plus quand a la sortie finale de leur offre
    Je ne me fais pas d’illusion et je ne pense pas qu’on aura un miracle avec Blacknut mais bon a voir

    1. Bonjour Terchal,
      Merci pour votre commentaire dont je partage l’analyse. Blacknut s’adresse à des non gamers (pari osé déjà par nature) et ils veulent éditorialiser les jeux, donc par définition un public très très restreint. Ils veulent être le Netflix des jeux vidéo mais ils me font plus penser au tout début de la chaine de tv Arte ! Voyons déjà si ils seront relevés les nombreux défis techniques… L’heure de vérité approche !

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