Il était une fois un secrétaire d’État au numérique qui était dévoué corps et âme à sa mission. Sauf qu’elle n’était pas facile à exercer dans un pays dont certains représentants officiels supportaient de moins en moins l’occupation américaine digitale, aussi pacifique soit-elle.
Quand Cédric O pensait avoir trouvé l’espérance d’un acte de résistance à la colonisation des GAFA & Cie (Netflix,…), il n’hésitait pas à nous en informer via un tweet
Bravo à la start-up @brutofficiel qui lève 40M$ pour continuer à inventer l’avenir des médias à l’heure des réseaux sociaux, en France et à l’international #Talents https://t.co/4HwwLy4l8n
Pour tout vous dire, je ne partageais pas l’optimisme de cet applaudissement public du représentant gouvernemental.
Brut 100% Vidéo OK, Brut 100% Digital OK BUT… Brut 100% Global? Really?
ÀMHA, sans les capacités de diffusion de Facebook Watch à l’échelle de notre petite planète, ses ambitions en milliards de vues restaient lettre morte.
Mais revenons quelques années en arrière…
Brut est une SAS parisienne au capital de départ de presque 100 000 euros, créée le 21 avril 2017 par des anciens de TF1 et de Canal +, Guillaume Lacroix (CEO), Renaud Le Van Kim (producteur historique du Grand Journal), Roger Coste (ancien directeur général de la régie publicitaire de Canal +) et Laurent Lucas (qui a été rédacteur en chef du Petit Journal).
L’ex-community manager Remy Buisine, sorte de succédané de Hugo Clément, est en charge des lives de Brut. Son principal fait d’armes est d’avoir réussi à exploser les compteurs de ses audiences grâce à sa couverture opportuniste des occupations de l’espace public, notamment par les gilets jaunes. La rue lui aura donc permis d’obtenir sa carte de presse sans passer par les fourches caudines d’une école de journalisme.
Après avoir levé 10 millions de dollars en 2018, Brut vient de collecter lors d’une série B, 40 millions de dollars auprès principalement des fonds d’investissement Red River West (Groupe Artemis) et Blisce d’Alexandre Mars, sans oublier l’incontournable BPI.
Son nouvel objectif serait de conquérir l’Amérique
Je ne suis pas convaincu que l’esprit Canal et plus particulièrement le style décalé du Petit & Grand Journal, soient aussi facilement transposables aux États-Unis. L’histoire récente de l’audiovisuel français, nous apprendrait que ce serait plutôt l’inverse, puisque Canal + est devenu un nouveau distributeur contraint de Netflix !
Brut est un média à destination de la cible des milleniums et de la génération Z. Elle encapsule ses productions vidéo de news, périssables par nature, sous la forme de clips de quelques minutes. Elles intègrent toutes l’affichage stylisé d’une analyse contextualisée.
Brut produit une propagande qui penche à gauche malgré les dires de son boss. Elle privilégie les thèmes de protection de l’environnement, de défense des minorités et de justice sociale, tous supposés capter et satisfaire la jeunesse.
Brut a un tropisme marqué en faveur de l’activiste Greta Thunberg ou de la sénatrice Alexandria Ocasio-Cortez au détriment du Président Donald Trump…
Avec l’échéance présidentielle américaine qui se rapproche et les chances sérieuses de réélection de Donald Trump au regard du nombre d’emplois créés ?
Personnellement je ne conseillerais pas de parier 40 millions de dollars sur son échec !
Pionnière de son format d’images animées, Brut est déjà victime de son succès. Il m’arrive de trouver des vidéos sur les réseaux sociaux qui ont le goût et la saveur de Brut, sans forcément être produites par ses équipes.
Leurs vidéos, en partie muettes et sous-titrées, réinventent le cinéma des frères Lumière tout en simplifiant leur localisation en d’autres langues. La tâche des copieurs est ainsi facilitée.
Son escapade new-yorkaise risque de lui coûter chère pour 3 Raisons + ou – Mortelles.
Raison + ou – Mortelle #1 : Cela fait déjà plus de 2 ans que Brut est présente à New York, son antenne américaine sur la côte Est datant de juin 2017
Son ancienneté ne se traduit pas encore dans sa popularité sur ces 2 réseaux sociaux.
Elle a créé une chaîne YouTube dédiée, Brut America, qui n’a que 535 abonnés au 9 novembre 2019. La dernière vidéo publiée Inside the Crisis at the US-Mexico Border n’a que 10 vues après 8 heures de publication. Le militantisme anti-Trump semble avoir atteint ses limites du nombre de rediffusions.
Son fil Tweeter brutamerica n’a fédéré que 3 427 followers depuis octobre 2016 ou en un peu plus de 3 ans d’existence. Ce chiffre est à comparer aux 463 300 abonnés pour la version française Brutofficiel.
Raison + ou – Mortelle #2 : BuzzFeed, le leader du marché, n’a pas encore trouvé un modèle économique viable
Buzzfeed qui a la même cible que Brut a de l’avance en terme de financements externes. Elle est rendue à la lettre G des tours de table avec un total levé de 496,3 millions de dollars d’après Crunchbase, sans encore avoir atteint les rives de la rentabilité.
J’ai bien peur que la stratégie du coucou qui compte sur la fonction partage sur les réseaux sociaux pour assurer la viralité de ses contenus, ne sera structurellement jamais profitable.
Buzzfeed est la preuve (encore) vivante que si vous dépendez de Facebook pour votre trafic, vous ne pouvez gagner de l’argent, quelque soit votre chiffre d’affaires.
Raison + ou – Mortelle #3 : Facebook continuera de mener la danse
Les communautés n’appartiennent pas à Brut dont l’audience de chaque vidéo ressemble à une nuée éphémère de moineaux sur un fil électrique.
La conversation reste sur Facebook et transforme la vidéo Brut en revenu Net pour… Facebook.
Brut allume peut-être le feu de l’engagement mais c’est Facebook qui en contrôle toujours le niveau et la durée de propagation, merci à ses algorithmes.
Le véritable Master of the game restera le réseau social, ici spécifiquement Facebook Watch, qui d’après Wikipedia, conserve 55% du revenu issu des annonceurs. Répartition en faveur de Facebook qui en plus n’a pas à supporter les coûts de productions de Brut.
Tout partenariat entre Facebook et un fournisseur de contenu sera obligatoirement l’équivalent du mariage de la carpe et du lapin.
Peu importe les rêves de consolidation du fondateur de Buzzfeed, Jonah Peretti, exprimés dans le New York Times en fin d’année dernière, cela ne changera rien. En additionnant 5 ou 6 modèles économiques défectueux, vous n’obtiendrez que la lourde addition de pertes cumulées que personne ne voudra assumer.
Il fallait vraiment que les fondateurs de Brut aient eu un story-telling digne d’une des meilleures fictions de Canal +, pour convaincre ses investisseurs de sortir 50 millions de dollars en moins de deux ans.
dude i don’t know if i can take it anymore….i gotta go drop this brut.
Toute ressemblance entre cette définition argotique et le nom d’un média existant ne saurait être que fortuite !